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" Ce morcel ne puis avaler" : images entre histoire et théologie aux XIIe et XIIIe siècles / Jean-Marc Moret
Livre
Edité par Champion ; Slatkine - 2017
Voici un livre qui exige plus 400 pages pour couvrir une distance de 30 cm : celle qui, chez l’homme, sépare le cou du sommet de la tête. Mais personne ne s’étonnera plus d’une telle lenteur, en découvrant que le parcours dure plus de deux siècles… Vers la fin du XIe s., à cheval entre la France et l’Espagne, une nouveauté iconographique est apparue. Sur les chapiteaux romans qui représentent le péché originel, Adam se serre le cou avec la main. Le motif fera fureur et s’imposera, au XIIe s., dans la sculpture. Quelles sont les raisons profondes de ce geste ? Le même geste, étrangement, réapparaît au XIIIe s. dans les Bibles moralisées, mais appliqué à un épisode peu connu de la Genèse : les Égyptiens, pour obtenir du blé de Joseph, s’offrent en esclaves volontaires, ce qu’ils visualisent en se serrant le cou. Comme le commentaire de cet épisode établit un parallèle inattendu entre les Égyptiens et les martyrs, une enquête sur l’importance des martyrs dans les Bibles moralisées s’imposait. Ce n’est plus le cou, mais la tête, qui est en jeu dans une série d’images montrant les saints Denis et Thomas Becket. Malgré la notoriété de leur martyre, personne n’a relevé la macabre inversion anatomique de leur mort, qui a conditionné leur iconographie respective. La tête décapitée de Denis a été attribuée à Thomas et la calotte crânienne de ce dernier, coupée par ses assassins, est devenue l’attribut principal de Denis dans les Bibles moralisées. Du cou à la tête le passage est bref, mais pour aller de la gorge d’Adam à la calotte de Denis il a fallu que s’entrelacent beaucoup d’histoires, et même l’Histoire.